Plus de la moitié des freelances travaillent chez leur client régulièrement : comment gérer les avantages et les inconvénients de cette “demi-appartenance” à l’équipe ?
On a l’image d’Épinal d’un freelance qui travaille de chez lui, d’un café, d’un espace de coworking ou sur la route, mais moins celle d’un travailleur indépendant qui bosse chez son client. Or, c’est une situation assez fréquente : en Belgique, d’après une étude de 2015, 47 % des freelances travaillaient chez leur client ; selon une étude menée par Malt en 2019, les freelances français sont 53 % à partager leur temps de travail entre chez eux et chez leurs clients.
Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle organisation ? Comment s’assurer qu’elle fonctionne pour vous comme pour votre client ? Voici quelques pistes.
Les points forts : créativité et spontanéité
Morgane Parma est graphiste indépendante (elle nous avait déjà parlé de son métier ici) et elle a longtemps travaillé chez ses clients : pour des missions de quelques semaines ou quelques mois, mais elle a aussi eu un client chez qui elle venait tous les jours pendant des années.
Globalement, c’est une expérience dont elle parle avec enthousiasme : “Même si on a des outils de travail à distance très performants, la communication est beaucoup plus fluide sur place. Être dans la même pièce permet un échange, une efficacité qui demande plus d’efforts à mettre en place en télétravail.” Comme l’explique cet article de France Info, la créativité souffre en effet de la distance : selon Nicholas Bloom, économiste à l’université de Stanford, il existe une corrélation réelle entre la collaboration en personne et l’innovation ; et pour 79 % des start-ups interrogées dans le cadre d’une récente étude israélienne, la distance affecte fortement l’innovation.
Morgane Parma abonde : “Pour moi qui ai un métier créatif, être sur place me permet d’avoir une vraie compréhension du besoin du client. J’observe l’environnement de travail, l’organisation des bureaux, comment la marque y est représentée. Je travaille parfois sur des refontes d’identité ou de communication interne : dans ces cas-là, c’est handicapant de ne pas pouvoir aller sur place et discuter avec les salariés.”
Et puis il y a l’émulation créée par le fait de travailler physiquement ensemble : “le plus gros avantage, c’est que ça me permet de vraiment m’immerger dans la mission”, estime Morgane. S’ajoutent des conditions de travail parfois plus confortables que chez soi, l’accès à du matériel ou des outils, voire la possibilité d’élargir son réseau si votre client est hébergé dans un incubateur, des bureaux partagés ou un lieu d’innovation.
Les risques : une perte de productivité et d’indépendance
Mais si la liste des avantages est longue, celle des risques l’est aussi. Pour Morgane, qui a passé beaucoup de temps chez un client où la situation était confortable, il faut veiller à “ne pas trop s’installer, ne pas rester trop longtemps sur la même mission : quand on est freelance, on reste un prestataire.”
Les clients eux-mêmes peuvent oublier la différence et, à vous voir faire partie de l’équipe, oublier que vous n’êtes pas son salarié. Cela peut créer chez lui certaines attentes, en termes de présence au bureau, d’investissement personnel dans la réussite de son entreprise, de participation à des événements adjacents au travail. Face à l’un de ces clients “envahissants”, il est déjà arrivé à Morgane, hyper impliquée dans un projet, de culpabiliser d’avoir d’autres missions, “alors qu’en tant qu’indépendante je me dois d’avoir plusieurs clients”.
Enfin, l’un des grands risques liés au travail chez le client est la perte de productivité : car si le télétravail abîme la créativité, il fait en revanche des merveilles pour la productivité, comme l’explique encore France Info. Entre les temps de transport, les pauses café, les interruptions liées à la vie en open space et les réunions qui tendent à être plus interminables en présentiel qu’en ligne, le travail effectif peut se réduire comme peau de chagrin. Et les freelances perdre de leur chère indépendance et flexibilité : “quand on travaille chez soi, on peut aménager son temps, travailler plus tard”, relève Morgane. Plus difficile quand on est chez son client.
“De la mesure en toutes choses”
Une fois cette balance des pour et contre faite, comment gérer quand un client vous demande de venir travailler chez lui (car c’est, quasiment toujours, une demande du client) ? Certains, comme le freelancer Josh Hoffman, ne cachent pas leur réticence et mettent au point des stratégies alternatives, comme garantir au client qu’il peut vous joindre dès qu’il en a besoin — à vous ensuite de jongler entre les clients, tout en maintenant vos limites.
Mais si la vie de bureau vous plaît ou que votre type de mission bénéficie d’un certain temps passé chez le client, quelques garde-fous bien placés peuvent rendre l’expérience agréable et utile pour tout le monde. De fait, les conseils que nous donne Morgane Parma pourraient être résumés avec la phrase : “Il faut de la mesure en toutes choses”.
Elle juge par exemple très utile d’être chez le client en début de mission, justement pour bien cerner les besoins et pouvoir prendre des décisions rapidement. Ensuite, vous pouvez peut-être proposer une solution hybride : Morgane passe les deux premiers jours de la semaine chez le client, pour faire le point de vive voix, puis le reste chez elle, pour “dérouler” le travail à son rythme. Cela évite aussi de perdre du temps dans les transports tous les jours de la semaine.
Autre point important : se mettre d’accord sur les horaires de travail. Paradoxalement, Morgane a trouvé plus difficile de faire respecter ses limites chez des clients qui n’avaient pas d’heures de travail fixe, et où le travail entre “collègues” avait tendance à déborder. Même problème avec les clients un peu envahissants. Désormais, elle a une parade très simple : “en début de projet, j’annonce deux tarifs. Mon tarif jour, et un tarif ‘soir et week-ends’, pour les urgences, qui est le double. Ça installe chez mes clients l’idée que les différentes parties de la journée n’ont pas la même valeur.”
En un mot, bosser de chez son client, ça peut très bien se passer, à une condition : “cadrer”.