Quand on est freelance et qu’on suit sa passion, il peut arriver que les autres aient du mal à reconnaître la valeur de notre expertise. Mais c’est un écueil dans lequel les freelances eux-mêmes peuvent tomber. Entre syndrome de l’imposteur et sur-confiance du débutant, il peut être difficile de prendre (et de garder) conscience de sa valeur.
Les mécanismes du syndrome de l’imposteur
Commençons par le biais psychologique peut-être le mieux connu quand il s’agit de s’auto-évaluer : le syndrome de l’imposteur. Celui qui susurre qu’on n’est pas tout à fait à la hauteur, qu’on ne fait qu’envoyer de la poudre aux yeux, et que quelqu’un va bien finir par s’en rendre compte. Ces pensées parasites s’ancrent dans le parcours individuel de chacun — si on a peu confiance en soi de manière générale, on y sera peut-être plus sujet. Mais elles sont aussi liées, paradoxalement, au niveau d’expertise que l’on possède : plus celui-ci est grand, moins on a le sentiment de sa valeur.
D’abord parce que quand on maîtrise un sujet, on peut finir par penser que notre expertise est du simple bon sens : si quelque chose est devenu évident pour vous, vous ne voyez plus le travail et les connaissances accumulées qu’il vous a fallu pour en arriver à cette conclusion. Ensuite parce que le doute est presque inhérent à l’expertise. C’est le fameux “je sais que je ne sais rien”, attribué à Socrate : quand on commence à saisir à quel point un métier est complexe ou exigeant, on a l’impression de n’en maîtriser qu’une infime partie, ce qui nous interdit la prétention à l’expertise. À cela peuvent s’ajouter des biais de genre, de classe ou de race. Ils sont familiers des journalistes qui peinent à arriver à la parité : la présentatrice du JT de TF1 Anne-Claire Coudray observe ainsi que “les femmes expertes osent moins s’exprimer dans les médias que les hommes”. Plus largement, la prévalence du syndrome de l’imposteur chez les femmes et au sein d’autres minorités est un phénomène bien documenté.
La sur-confiance du débutant
De l’autre côté de la balance, il y a ceux qui ne doutent de rien, qui déboulent dans un métier qu’ils connaissent à peine avec des tarifs sidérants et une confiance en eux indéboulonnable. Ceux-là ne sont pas forcément des imbus d’eux-mêmes avec une grosse tendance à l’ultracrépidarianisme (un comportement, à mon sens bien français, qui consiste à donner son opinion sur des sujets qu’on ne maîtrise pas). Ils peuvent, plus simplement, être sujets à un phénomène psychologique qui n’épargne personne : quand on commence à s’intéresser à un sujet, “notre impression de connaissance dépasse très largement notre connaissance réelle.” C’est ce qu’on appelle l’effet Dunning Kruger, détaillé dans cette vidéo de Konbini (elle-même ironiquement étrillée sur Twitter car elle illustrerait l’effet qu’elle veut dénoncer, je vous aurais prévenus.)
Je ne prétendrai pas à l’expertise sur l’effet Dunning Kruger, mais ce qu’explique l’étude originale, c’est que nous souffrons tous (débutants ou pas) d’un effet de sur-confiance général, qui s’estompe à mesure qu’on apprend davantage, et donc qu’on comprend nos erreurs d’auto-évaluation. En d’autres termes, on peut croire qu’on est capables de prendre nos propres photos de reportage, ou de bidouiller un graphique, ou d’écrire un portrait, parce qu’on a des connaissances de base qui nous cachent encore l’étendue de ce qu’on ne sait pas.
Croire en sa valeur
COMMENTAIRES
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On en vient donc à la question centrale : si notre psychologie nous joue des tours, nous faisant croire tour à tour qu’on ne sait rien ou qu’on sait tout, comment rester conscients de notre valeur ?
Le premier conseil, c’est d’écouter ce que les autres nous disent. Chloé Stückelschweiger, chercheuse en tendances, a eu un moment envie de lâcher son métier : “Et puis j’ai eu un projet avec un client tellement content que je me suis rendue compte que je n’étais pas mauvaise. Je me suis dit, est-ce que ne plus exercer ce métier, ce ne serait pas gâcher un talent que j’ai trop longtemps ignoré ?” J’ai eu la même expérience récemment, avec un ancien client qui m’a appelée pour me demander de reprendre le texte d’un autre free, qu’ils n’avaient pas aimé. Ça m’a redonné un boost (l’ego est décidément faible) et plus d’enthousiasme pour mon travail. Si vos clients reviennent, si le bouche-à-oreille fonctionne, si on vous demande parfois votre avis sur un aspect de votre métier ou de votre industrie, c’est que les autres savent que vous savez.
Et une fois que vous en avez conscience, il faut le défendre pied à pied. Chloé a appris à augmenter ses tarifs pour être payée à sa juste valeur — incidemment, quand on fait ça, on a souvent des projets et des clients plus stimulants. Amandine Thiriet, comédienne et chanteuse (elle est indépendante car elle ne vit pas en France) aussi, après avoir frôlé le burn-out : “J’ai pris une coach quelques mois et elle m’a conseillé d’avoir une grille de tarifs pour savoir objectivement ce que vaut chaque prestation, indépendamment de toute émotion. Ça m’a donné un rapport plus sain au travail.”
Apprendre l’humilité
À l’inverse, si vous avez tendance à sur-vendre des choses que vous ne savez pas bien faire — ça m’est arrivé aussi –, prenez le temps de réaliser que c’est à vous que ça va jouer des tours. Si vous promettez de faire une vidéo alors que vous n’avez jamais monté de votre vie, vous allez devoir vous former tout seul, en accéléré, et rendre un résultat probablement pas génial. Votre client ne sera pas content, et vous y aurez passé des nuits blanches. Personne n’y gagne.
Avec l’expérience, j’ai appris que l’honnêteté rend tout plus facile à gérer face à un client. Si vous ne savez pas faire quelque chose, proposez de trouver un autre free qui sait le faire (et qui un jour vous renverra peut-être l’ascenseur). Si on vous demande de travailler sur un sujet qui sort de votre champ d’expertise, soyez clair sur le fait que ça vous prendra un peu plus de temps pour le maîtriser. C’est de l’humilité, pas de l’auto-sabotage. Et c’est aussi autant d’opportunités pour continuer d’apprendre.