Le client est roi mais il faut parfois lui dire non, pour son bien comme pour le vôtre.
Savoir dire “non” est une compétence sociale qui n’est ni vraiment enseignée, ni valorisée. Et quand on a des clients, elle l’est peut-être encore moins : à force d’adages comme “le client est roi”, on perpétue l’idée que le client a toujours raison, et que le meilleur moyen de le satisfaire est de perpétuellement lui dire oui.
C’est peut-être vrai dans certains métiers (et encore) mais, pour les freelances, cette injonction au “oui” peut être délétère. En réalité, il est indispensable de savoir dire “non”, non seulement pour respecter vos propres limites, mais aussi pour réellement satisfaire vos clients.
Les bienfaits du “non”
Pour un freelance, savoir dire non à un client (qu’il soit prospectif ou déjà client, on y reviendra) est important pour plusieurs raisons.
D’abord, c’est un moyen de lui montrer que vous le prenez au sérieux : vous ne dites pas oui à tout, vous êtes réfléchi et fiable, vous n’acceptez que ce que vous pouvez faire et vous engagez ainsi à lui fournir le meilleur travail possible. Dire non à certains détails d’une mission, à un délai, à un livrable montre que vous avez vraiment étudié le besoin de votre client, et que vous savez quels moyens mettre en place pour y répondre.
Parfois, dire non montre également que vous êtes conscient de votre valeur et de votre expertise : si vous savez refuser certaines conditions tout en proposant une alternative, vous établissez que vous savez de quoi vous parlez : vous êtes un interlocuteur sérieux qui a vraiment quelque chose à apporter à son client, au-delà d’une “simple” capacité d’exécution.
Enfin, savoir dire non permet de poser les bases d’une collaboration saine, dans laquelle les besoins et les limites des uns et des autres sont établies et respectées. Après tout, vous ne travaillez pas pour votre client mais avec lui : quand on est freelance, il n’y a pas de relation de subordination, et il est important de savoir poser vos conditions clairement.
Une fois tous ces beaux principes adoptés, concrètement, on fait comment ?
Dire non à un nouveau client ou une nouvelle mission
Premier cas de figure : vous êtes approché ou mis en contact avec un potentiel client, ou l’un de vos clients vous propose une nouvelle mission. Or, vous repérez tout de suite que certaines choses coincent.
Vous n’avez pas le temps. Quand on démarre, on dit oui à tout car on a besoin de se faire un réseau et de payer son loyer ; plus tard, la tentation est grande de continuer à tout accepter, par peur que les nouveaux projets finissent par se tarir. Mais si vous vous surmenez, ce ne sera bon ni pour vous, ni pour votre client. Le burn-out est un risque professionnel important chez les freelances : d’après une étude menée en 2016 par BPI France, 15 % des freelances sont en burn-out ou en risque de l’être. Et sans aller jusque-là, votre manque de temps vous empêchera probablement de faire du vrai bon travail. Si vous avez déjà trop de boulot, évaluez donc honnêtement la balance risques-bénéfices d’accepter une nouvelle mission.
Comment dire non ? Facile : dites que vous n’avez pas le temps. Si vous avez envie de travailler avec ce client, voyez s’il est possible de négocier les délais, ou alors de vous engager seulement sur une partie de la mission. Sinon, indiquez vos disponibilités dans les prochaines semaines ou les prochains mois, au cas où une autre mission se présente.
La mission sort trop de votre champ de compétences. Parfois, il peut être bénéfique d’accepter une mission qui vous met un peu en danger, c’est-à-dire qui vous force à acquérir de nouvelles compétences ou à apprendre de nouvelles choses. Mais ce n’est pas toujours le bon moment. Ou alors le sujet est vraiment trop éloigné de ce que vous maîtrisez, et vous demandera beaucoup d’efforts pour un résultat moyen. En bref, sachez quand vous pousser à faire plus, et quand ce n’est pas raisonnable – ni pour vous, ni pour le client.
Comment dire non ? Dites simplement que vous n’êtes pas la bonne personne pour ce projet et, idéalement, recommandez un autre freelance qui pourrait convenir.
Le sujet ne vous emballe pas. Là, on entre dans une situation de privilégié : être en mesure de refuser un projet simplement parce qu’il ne vous fait pas envie. Mais si le sujet ne vous plaît pas, que vous ne partagez pas les valeurs du client, ou que les enjeux ne vous intéressent vraiment pas, dites-vous qu’il n’a pas plus intérêt que vous à ce que vous acceptiez la mission. Bien sûr, on ne fait pas tous les jours un métier passion, mais y aller en traînant vraiment des pieds ne sera bon pour personne.
Comment dire non ? Même réponse que précédemment : vous n’êtes pas la bonne personne, mais vous avez peut-être quelqu’un sous la main qui l’est.
Le client ne vous inspire pas confiance. Vous ne sentez pas le client ou le projet, et les raisons peuvent en être très variées : le client négocie vos tarifs d’emblée, il semble attendre de vous une présence et une réactivité totales, il a des délais beaucoup trop courts, ses objectifs semblent irréalisables, il n’a pas l’air de savoir ce qu’il veut, il y a un nombre infini de décisionnaires de son côté, ses valeurs ou sa manière de communiquer vous déplaisent, etc. Il y a plein de raisons plus ou moins objectives de ne pas se sentir en confiance. Si vous savez déjà quel est votre client idéal, vous repérerez peut-être plus facilement ceux que vous voulez éviter. En tous les cas, il est important d’avoir des relations saines avec ses clients ; si vous sentez dès le départ que les bases ne sont pas là, il vaut mieux refuser de s’engager.
Comment dire non ? Là, c’est un peu délicat, et vous serez peut-être moins honnête que dans les cas de figure précédents. Vous pouvez dire que vos modes de travail semblent trop différer, ou que les conditions objectives (tarifs, délais, organisation) ne vous conviennent pas. Tout en restant poli, soyez ferme et clair : vous dites non, pas “oui, peut-être, si telle et telle chose venaient à changer”. Ça, ce serait une négociation.
Dire non dans le cadre d’une mission
Deuxième cas de figure : vous êtes déjà engagé dans une mission avec un client, qui vous demande des choses que vous ne pouvez ou ne voulez pas accepter. C’est une situation un peu inconfortable, mais qui peut se gérer sans drames tant que vous restez honnête et clair sur vos capacités et vos limites.
Votre client vous traite comme un salarié. Il empiète sur votre autonomie, vous impose ses heures de travail, vous sollicite à tout moment, agit comme s’il était votre seul client. C’est une pente dangereuse, dont nous parlait la graphiste Morgane Parma dans cet article le mois dernier. Si vous n’avez pas déjà posé des limites claires (Morgane fixe en début de mission un tarif doublé pour les soirs et les week-ends !), il vous faut rectifier le tir le plus vite possible.
Comment dire non ? Vous pouvez commencer par aborder le sujet à l’oral, en rappelant à votre client que vous avez vos propres contraintes et vos propres modes de travail, et que ne pas être corvéable à merci ne signifie pas que vous n’êtes pas engagé. Si cela ne suffit pas, envoyez un mail ferme et poli pour (ré)établir vos règles. Si vous sentez chez lui un besoin d’être rassuré, vous pouvez proposer à votre client des points réguliers pour remplacer ses appels et ses mails.
Votre client change le brief en cours de route. C’est une situation extrêmement fréquente : un client qui ne sait pas bien ce qu’il veut et change constamment d’avis, ou qui écoute trop d’opinions en interne, ou qui essaie de vous rentabiliser en vous demandant “juste” tout plein de petites choses qui ne rentrent pas dans le brief de départ. Là aussi, la pente est glissante, et pas forcément facile à repérer dès le début.
Comment dire non ? On ne le répètera jamais assez, mieux vaut avoir posé ses conditions dès le début, par exemple sur le nombre d’aller-retours compris dans votre forfait. En cours de projet, répondez rapidement à chaque nouvelle requête en demandant par écrit le délai et le budget que le client envisage. N’hésitez pas à rappeler le périmètre de la mission quand on vous demande des choses qui excèdent le brief initial.
Votre client ajoute des tâches qui sortent de votre champ de compétences. Un coup classique, quand des clients ne se rendent pas compte qu’un rédacteur n’est pas graphiste, par exemple.
Comment dire non ? Rappelez aussi poliment et fermement que possible que cette demande n’entre ni dans le brief de départ, ni dans vos compétences, et proposez de mettre le client en contact avec un autre freelance pour ces tâches.
Pour ne plus (ou moins) avoir à dire non
Devoir dire non est une expérience aussi désagréable qu’inévitable. Pour la limiter au maximum, cadrez toujours bien votre mission avant de l’accepter ou de la commencer. Dites-vous que cela ne fait pas de vous une personne difficile, mais simplement un professionnel.
Et si, malgré vos précautions, votre client vous pousse dans vos retranchements, gardez en tête que dire non vous rend service à tous les deux : personne ne veut d’un “Yes Man” qui dit oui à tout, y compris à ce qu’il ne peut pas faire.